samedi, août 09, 2008

40 secondes pour changer de vie

Je porte mon doigt à ma bouche et croque avec application dans l’ongle pour en détacher le bord droit puis poursuis consciencieusement mes morsures vers la gauche jusqu’à ce que la partie condamnée de l’ongle ne tienne plus que par de presqu’invisibles attaches. J’exécute prestement la sentence en tirant d’un coup sec avec l’autre main. Convaincu d’être moi il y a quelques instants à peine, ce bout d’ongle réalise à présent au fond d’une corbeille combien il s’est trompé. Devant moi le Dr Prévost m’explique avec force détails la nouvelle technologie 100% laser qui permet d’opérer mêmes les fortes corrections avec des cornées fines comme c’est mon cas. Le praticien perd son temps à me convaincre, je ne l’écoute déjà plus. Je retire mes petites lunettes rondes et les retourne dans mes doigts : ma décision est prise à l’instant, je vais en finir avec 30 ans de myopie.

C’est ainsi qu’une semaine après, ce vendredi 08/08/08 (selon les chinois c’est bon signe), je me retrouve à nouveau en face du guichet d’accueil du « state-of-the-art » Centre Laser Eiffel, prêt à l’opération qui devrait, au moins en partie, changer ma vie.

« J’ai parlé avec nos spécialistes, on doit pouvoir le faire ici, je t’ai organisé un rendez-vous en septembre quand tu viendras » m’avait dit Myrna, une amie mexicaine il y a quelques mois. Entre temps le dernier né des lasers Femtosecond a franchi l’Atlantique et la clinique Eiffel opère de grands myopes qui pensaient finir leurs jours avec leur déformation visuelle.

L’assistant du praticien me reconnaît et nous nous sourions. Il me reste quelques appréhensions quand même, si ça ne marche pas, s’ils me ratent, si je deviens aveugle, si, si, si, un tas de peurs primitives se bousculent dans mon esprit sans qu’aucune ne sorte du rang mais entretenant un certain inconfort psychologique. L’atarax que j’ai pris ne semble pas faire les effets promis, je me sens tout sauf gazé. Le sourire assuré de l'assistant me réconforte. T’as intérêt à tenir ta promesse mon gars ne puis-je m’empêcher de penser.

Je m’acquitte des 2 500 € qui ouvrent l’accès d’un futur sans lunettes. Je n'ai pas interrogé la sécu mais ma mutuelle prenant en charge au moins les deux tiers de ce prix, l'investissement reste très mesuré.

Je suis l’hôtesse jusqu’à l’étage inférieur où elle m’aide à revêtir une tunique bleue par-dessus mes habits, des sur-chaussures et un bonnet de la même matière, une espèce de papier-tissus médical. Je m’installe ensuite dans un confortable siège massant et j’attends en profitant de l’appareil. Un moment plus tard Benjamin, c’est le nom de l’assistant, passe sa tête dans l’embrasure. « Tout va bien ? Je reviens vous chercher dans 10 minutes ok ? » Comme que j’ai le choix mais que jusqu’ici tout va bien, j’acquiesce.

A l’heure dite et alors que je commence à ressentir les effets de l’atarax, Benjamin et le Dr Prévost apparaissent tous deux.

« La première phase est la plus inconfortable m’averti le praticien. Nous allons tout d’abord vous mettre des gouttes sur les yeux afin de les anesthésier, puis nous poserons une ventouse sur le premier œil et nous procéderons à la découpe du volet au laser. Cela prendra 20 secondes et sera inconfortable sans être douloureux cependant. »

C’est fou ce que 20 secondes peuvent paraître une éternité parfois ! C’est pourtant fini avant que j’ai atteint 20 dans mon décompte mental mais un peu plus que simplement inconfortable. J’ai droit à de nouvelles gouttes dans l’œil gauche avant qu’il ne subisse l’opération à son tour.
A nouveau la ventouse se pose, forçant l’écartement de l’œil et le maintenant en place, léger bruit de succion puis le noir complet. Le Laser Femtosecond frappe plus de 600 000 fois mon œil, vaporise une couche de matière sous la surface, détachant un mince volet de matière. « Il reste 5 sec » averti le praticien. C’est fini. La ventouse se retire et je ferme l’œil.

« Je vais vous aider à vous déplacer vers le deuxième poste » m’annonce Benjamin. J’ouvre les yeux et je ne vois rien tout d’abord, avant de m’aviser que je vois comme lorsque je ne porte ni lunettes ni lentilles. Ou pire. L’assistant m’aide à me lever et me dirige vers le grand changement promis où nous a déjà précédé le Dr Prévost.

Je m’allonge à nouveau, la tête bien calée dans le support.

« Nous allons à présent soulever le volet découpé et procéder à la correction elle-même, m’annonce le Dr. Puis nous rabattrons le volet et nous procèderons de même sur l’autre œil. »
J’ai pu constater déjà dans le passé que les médecins ont fait « du sang et des larmes » promis par Churchill avant le Blitz, leur technique de communication favorite: avertir un individu en lui donnant tous les détails de l’opération pas-si-agréable-que-çà que vous allez lui faire subir, puis continuer à le prévenir de chacun de vos gestes, entraîne une coopération remarquable et évite les réactions de surprise ou de panique qui peuvent ruiner la manœuvre. Un must-be en matière de communication de crise. Je vous recommande cette technique au quotidien, en tout cas je confirme que ça marche au moins pour mettre une ventouse dans l’œil de votre voisin.

J’ignore si mes sens me jouent un tour mais je perçois tout de même une légère odeur de brûlé pendant que le laser grignote silencieusement ma cornée, taillant dans la matière l’œil neuf annoncé. Les impulsions de ce laser sont d’une puissance de 10+9 Watts (vous compliquez pas la tête : c’est beaucoup de watts) sur une durée d’une Femtoseconde (10-15 seconde : 0,000000000000001 seconde, vous compliquez pas la tête, c’est très peu de temps) le résultat est une vaporisation de la matière si instantanée qu’elle n’a même pas le temps de dégager de chaleur. Les atomes sont tellement surpris d’une telle violence qu’ils ne bougent même pas. Pan, t’es mort comme dirait mon pote Vince.

« Je vais rabattre le volet, fait le médecin, voilà c’est fait, je rince, c’est simplement de l’eau… voilà, nous allons passer à l’autre œil, ne bougez pas, continuez à fixer le point rouge, un peu plus bas, c’est très bien. »

20 nouvelles secondes s’écoulent. Au total 40 secondes pour chaque œil, entre la découpe du volet et la correction elle-même. A peine le deuxième volet remis en place, j’ai déjà la sensation que quelque chose a changé, malgré les larmes abondantes qui brouillent ma vue et la sensation d’éblouissement qui m’oblige à garder les yeux fermés.

Après quelques minutes dans la pièce d’attente du départ le Dr revient me chercher. « Comment allez-vous ? » Je vais bien en fait et même si je suis groggy comme un boxeur au sortir d’un match, je n’ai mal nulle part. L’effet combiné du stress, de l’atarax qui agit à plein maintenant et du traumatisme que vient de subir l’organisme sans doute. Inspection des volets : ils sont parfaitement repositionnés. « Vous allez pouvoir rentrer chez vous ! Suivez bien les instructions pour cette nuit, nous nous revoyons demain matin, prenez rendez-vous à 11h avec la secrétaire. »

Une luciole m’éblouirait, mes yeux pleurent comme une digue ouverte… mais je vois parfaitement ! Je chausse mes ray-ban et me dirige d’un pas mal assuré vers les escaliers, prend rendez-vous comme convenu et en profite pour me faire appeler un taxi.

Le salopard, ayant remarqué mes yeux fermés tout le long du trajet, flaire l'aubaine et s’octroie royalement 20€ quand le taxi de l’aller m’avait coûté 10€ seulement. On parle des pays sous-développés, on met dans les guides pour ces contrées sauvages des avertissements contre des taximen qui vous arnaquent dans des devises tout justes bonnes à allumer votre barbecue. Pendant ce temps, en plein Paris, on vous escroque tranquillement et en Euros ! Les situations changent mais l’être humain est partout le même.

Les consignes sont strictes : interdiction formelle de toucher ni même d’effleurer mes yeux pendant les 3 prochaines heures, des gouttes 4 fois par jour pendant 10 jours pour l’antibiotique, 6 fois par jour pendant un mois pour le collyre de confort.
Après 3h de sieste j’émerge soudain, l’esprit clair, mes yeux ont réalisé que je n’ai perdu aucun proche aujourd’hui et ont cessé de pleurer, je vois clair et net ! Pour la première fois en me réveillant je vois 23:12, l’heure que projette mon fidèle réveil au plafond, lui qui désespérait probablement que je puisse la lire un jour. Miracle.

Ce matin, à l’heure dite, je me suis présenté à la clinique avec deux bouteilles de champagne millésimé pour le praticien et son aide. Ils étaient surpris, presque émus. J'avais hésité, craignant d'en faire trop mais comme quoi il faut toujours suivre son instinct: il est souvent de bien meilleur conseil qu'on ne croit. C’est aussi une façon pour moi de marquer que changer la vie des gens à deux derrière une machine mérite de vrais remerciements: 12/10 à l'oeil droit (contre -7.50 auparavant), 10/10 à l'oeil gauche (contre -8,00).

Si vous avez une correction visuelle importante ou non et si vous hésitez à vous faire opérer, allez voir ces gens, ils font leur métier avec une gentillesse et une douceur remarquable, à deux derrière leur machine ils changeront votre vie en 40 secondes.

1 Comments:

Blogger Unknown said...

wouaw j'ai l'impression davoir carrement assisté à toute l'intervention tellement c'est imagé.tu devais sans doute etre un griot dans une vie antérieure(lol)
"mes yeux pleuraient comme une digue ouverte" sa il le fallait kan même tu y es allé francho ihihi.
enchantée mister Alf!
bisous du sud!
light

27/4/17 22:27  

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